Ombeline Nguyen
Directrice du département Stratégies & Data, Razorfish
Publié le
27/11/2025
Temps de lecture
5 minutes
Construire un digital innovant et responsable : un défi de taille pour les marques à l’ère des IA
Le saut quantique que permet l’IA aux entreprises et aux utilisateurs efface-t-il l’exigence d’éco-agir ?
À en croire les études sur l’adoption massive de l’IA dans le monde et les priorités des entreprises qui y voit leur moteur de compétitivité, l’IA a pris le pas sur les enjeux environnementaux. Pourtant le constat est sans appel. La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre de la France a presque doublé entre 2020 et 20251 selon l’ADEME sur une période où l’IA était en pleine émergence et les impacts environnementaux de l’IA risquent d’être multipliés par 7 d’ici à 2030 2. Des chiffres qui montrent l’ampleur du défi et l’urgence de s’y atteler.
À commencer par les marques. Car qui de mieux qu’elles, en tant que moteur de transformation et d’innovation qui réinvente sans cesse les expériences qu’elles proposent à leurs clients, pour montrer la voie et intégrer des pratiques de numérique responsable ?
Ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas
Le premier levier qui s’offre aux marques est la mesure des impacts environnementaux de leurs expériences, produits et services digitaux. De nombreuses solutions de mesure existent et si l’on pourrait débattre des forces et faiblesses de chacune, il semble surtout qu’il faille accepter la part d’imperfection de la mesure et commencer à la déployer pour dégager des axes de progression.
C’est ce à quoi s’attèle le Baromètre de l’Éco-Conception Digitale, étude Razorfish France et Green IT, qui mesure depuis 4 ans les performances environnementales des sites web les plus représentatifs de l’économie française. La dernière édition, publiée en octobre 2025, révèle une éco-conception en net recul après des années de progression. Or, comment maîtriser les impacts du Web de demain boosté à l’IA lorsque le Web « classique » d’aujourd’hui n’est pas à la hauteur du défi ?
La tâche est possible – comme le démontre le Baromètre lorsqu’il s’attarde sur les 50 sites e-commerce leaders en France, compare les écarts de performances environnementales au sein d’un même secteur et constate que pour un même produit vendu ou une page web équivalente, les scores passent du simple au triple. Preuve que la progression est à portée de main de l’UX Designer, du product owner, du développeur et du marketer, et ce, sans altérer l’efficacité business – si tant est que l’on commence à la mesurer.
La responsabilité comme driver business
Il s’agit ensuite de changer de paradigme. Dans un monde digital drivé par la valeur business, les enjeux RSE sont traités au mieux comme un critère de compliance (quand réglementation oblige) voire comme une source d’indifférence – trop peu comme un vecteur de business.
Pourtant le site e-commerce qui obtient le meilleur score du Baromètre est dans le TOP 10 des sites qui génèrent le plus de ventes en ligne en France 3. Résultat intentionnel ou fruit du hasard ? Qu’importe ! Quand on sait que l’éco-conception digitale place l’utilisateur au centre de sa définition (permettre à celui-ci de réaliser sa tâche le plus vite possible avec le moins de ressources nécessaires), on peut la considérer comme l’ultime preuve de la « user-centricity » des stratégies digitales des marques et en faire un KPI de performance aux côtés du taux de conversion ou de la satisfaction utilisateur.
La culture : ultime levier pour passer de la théorie à l’action
Enfin, pour passer de la mesure à l’action, il est nécessaire d’embarquer l’ensemble des expertises et des métiers autour de la table et de les sensibiliser tout au long de la construction et de l’optimisation des expériences digitales des marques. Cela requiert autant le sponsorship du leadership que l’adhésion des équipes opérationnelles. Cela nécessite de se fixer des objectifs et de repenser ses process internes. Des changements qui peuvent sembler profonds mais qui résultent davantage de bonnes habitudes à adopter. Cela amène aussi, à l’heure des roadmaps IA, à former les collaborateurs à un usage éclairé de celles-ci (un prompt complexe vaut mieux que 5 prompts simples 4) et à réfléchir à la façon d’intégrer ces IA dans les écosystèmes digitaux des marques, pour driver une innovation raisonnée.
Ainsi, concevoir un digital responsable autant qu’innovant est un véritable levier de performance voire de différenciation pour les marques. Et face à des IA challengées autant pour leur ROI que pour leur coût énergétique, coupler l’innovation à la responsabilité dans la façon de penser le digital semble la condition sine qua none à des stratégies.
1 de 2.5% en 2020 à 4.4% en 2025 – ADEME 2025
2 GreenIT – Impacts environnementaux et sanitaires de l’intelligence artificielle – Octobre 2025
3 selon Ecommerce Nation – 2025
4 Baromètre de l’Eco-Conception Digitale 2024 sur l’analyse des interfaces des IA génératives