Nicolas Bruchet

Directeur Associé en charge du Conseil, Agence Dékuple

Publié le

12/11/2025

Temps de lecture

6 minutes

(CX) (IA & Innovation)

Comment les marques doivent-elles s’adapter à la révolution du commerce agentique ?

L’intelligence agentique est depuis quelques mois la nouvelle phase de la révolution en cours avec les intelligences artificielles. Dans son sillage, elle redessine le paysage du commerce, et par conséquent des marques. Le commerce semble sur le point de connaître une nouvelle ère avec le “commerce agentique”, ou a-commerce. Ainsi, après le commerce électronique ou e-commerce, le commerce mobile ou m-commerce, le commerce social et la montée des marketplaces, l’a-commerce est la prochaine grande onde de choc attendue dans la distribution. OpenAI vient de lancer le signal avec l’annonce de sa fonctionnalité « Instant Checkout », un protocole conçu pour intégrer les systèmes e-commerce et les IA. L’enjeu est critique pour le marketing : dans un monde où les agents IA se positionneront en compagnons d’achat privilégiés des clients, les aidant à comparer et à rationaliser leurs choix, quelle place sera encore accordée à la fidélité aux marques ?

Le commerce agentique : une facilitation puissante, mais des freins à lever

S’il ne faut pas s’attendre à un raz-de-marée immédiat de l’a-commerce, la transformation des usages est déjà en marche. Selon une enquête mondiale menée par Riskifield, 73% des acheteurs utilisent déjà l’IA dans leur parcours d’achat. Si l’expérience d’achat est déjà transformée, c’est que les agents IA vont bien au-delà de la simplification apportée par l’e-commerce classique. Ils fournissent presque instantanément des réponses précises sur des critères de choix tels que le budget, le délai de livraison, les points forts des produits, les avis donnés, etc..

Si jusqu’à présent les agents IA ne font que fournir des conseils et des sélections de produits recommandés, la dernière étape, celle que veut franchir OpenAI, est la possibilité de commander directement par l’entremise de l’agent.

Cependant, l’adoption n’est pas exempte d’obstacles. Côté consommateur, la confiance dans l’IA comme « personal shopper » doit s’affirmer. Si 70 % des acheteurs se disent relativement à l’aise avec l’idée qu’un agent effectue des achats pour eux, seuls 13 % ont déjà concrétisé un achat sur les conseils d’un assistant IA. Les préoccupations majeures résident dans la sécurité des paiements, citée par 32 % des acheteurs, suivie par la confidentialité. Il est néanmoins notable que la confiance accordée à l’IA pour influencer les achats (36 %) est déjà comparable à celle accordée aux vendeurs en magasin (38 %). Pour les entreprises, le défi principal, au-delà de l’accès structuré à l’information produit, sera la sécurisation des commandes et l’indispensable lutte contre les fraudes. Les protocoles d’IA devront rassurer les e-commerçants quant à leur capacité à lutter efficacement contre les fraudes et à sécuriser les transactions.

L’ère de l’agent virtuel est un défi pour les marques

Du côté des marques, l’enjeu à court terme est de permettre aux IA d’accéder à une information fiable et structurée sur leurs produits. Mais si cet enjeu est désormais d’autant plus critique, il n’est pas nouveau pour toutes les entreprises, dont certaines ont déjà dû réinventer leur gestion d’information produit pour permettre le référencement par les marketplaces.

Mais une fois ces enjeux techniques et fonctionnels dépassés, le véritable défi se situera, à plus long terme, dans le rôle des marques et leur capacité à créer de la préférence et à fidéliser leurs clients, dans un contexte ou les échanges commerciaux seront de plus en plus basés sur les critères rationnels imposés par les agents. Comment continuer à faire valoir leur singularité, et à créer du lien avec les consommateurs, dans un monde où le commerce serait dirigé par des agents virtuels ?
Ainsi, les stratégies de communication visant à renforcer les marques, en créant un lien émotionnel avec leurs publics, seront d’autant plus importantes pour sortir son épingle du jeu, et ne pas subir frontalement le jeu de la concurrence.
Mais surtout, il deviendra plus que jamais indispensable de créer un lien spécial avec ses clients. En proposant des expériences d’achat et d’utilisation des produits et services marquantes. En proposant des avantages et contenus exclusifs. En récompensant la fidélité. Encourager les clients à créer un compte, à télécharger une application ou à suivre la marque sur les réseaux sociaux seront encore plus vitaux.
Car enfin, à ce stade, il n’est pas possible à l’IA de remplacer les marques dans leur capacité à créer du lien au travers des histoires qu’elles racontent, de la singularité qu’elles expriment et dans laquelle les consommateurs souhaitent se reconnaître, ni surtout dans leur capacité à apporter du service et une récompense de la fidélité au-delà de la transaction ponctuelle.

Une fois ces défis fonctionnels maîtrisés et cette révolution des usages entérinée, la question fondamentale pour les marques subsiste : comment continuer à affirmer leur singularité et à tisser un lien avec les consommateurs, lorsque le commerce est largement exécuté par des agents virtuels ? Ce débat, déjà ouvert par l’essor des marketplaces , s’intensifiera, car les sites des marques seront de moins en moins incontournables dans les parcours d’achat.

La réponse à ce danger se trouve dans les stratégies de communication visant à renforcer les marques, d’une part et dans le les dispositifs de fidélisation, d’autre part. Pour encourager le client à initier une relation, à créer un compte et à préférer la marque sans la soumettre à une comparaison systématique avec des produits concurrents , la stratégie doit être plus que jamais robuste. Cela passe par trois leviers essentiels :

1. D’abord, le renforcement de la marque à long terme, en utilisant tous les moyens de communication, de l’affichage au marketing d’influence.

2. Ensuite, la création d’une fidélisation « émotionnelle » : toucher le client par le ton employé, par les singularités de la marque et la promesse de service sur la durée.

3. Enfin, l’établissement d’un échange de valeur clair : la fidélité doit être récompensée et valorisée. Cela se matérialise par des exclusivités, des services additionnels ou des récompenses structurées dans un programme de fidélité.

En définitive, l’intelligence artificielle, aussi performante soit-elle, a ses limites. Elle ne peut se substituer aux marques dans leur capacité irremplaçable à créer du lien au travers des histoires qu’elles racontent, dans la singularité qu’elles incarnent et dans laquelle les consommateurs désirent se reconnaître. Surtout, elle ne peut pallier l’aptitude de la marque à apporter du service et à récompenser la fidélité au-delà de la simple et ponctuelle transaction. L’ère de l’a-commerce impose aux marques de transcender la logique transactionnelle pour s’ancrer dans une logique de relation durable et valorisée. C’est par ce renforcement stratégique de la fidélité que se jouera l’avenir de leur pérennité.