Cette question sonne comme une provocation, mais elle résume à elle seule la tension qui monte entre les agences de communication et les cabinets de « cost control » qui interviennent sur la production de nos créations. En choisissant de devenir eux-mêmes « conseils en production », ils remontent la chaîne de valeur de nos métiers, se placent en concurrence directe avec nos équipes et créent une confusion qui mérite que l’on pose aujourd’hui la question à l’ensemble de la profession et surtout à l’ensemble des annonceurs pour des raisons d’éthique, de transparence et de respect de notre métier d’agence conseil en communication.
Alors, cette lettre est-elle une attaque contre le contrôle de nos coûts de production ou les « cost controllers », en général ? Absolument pas. Nous travaillons avec des « cost controllers » depuis longtemps. Il est sain que les annonceurs qui le souhaitent s’entourent d’intervenants indépendants et extérieurs pour contrôler leurs coûts de production, imaginer des optimisations et discuter des meilleures configurations possibles. Nous avons tous travaillé avec des « cost controllers » qui effectuent leur travail avec beaucoup de soin et d’intelligence et qui nous ont aidé à améliorer nos solutions de production, sans mettre en péril la qualité et la valeur de nos créations. Ce dont nous aimerions parler aujourd’hui, c’est de trois dérives de ce métier que nous observons malheureusement de plus en plus régulièrement.
1. Le dénigrement des agences conseil en communication
Les « cost controllers » sont là pour optimiser les coûts d’une production au regard d’une qualité escomptée. Ils ne sont pas censés s’immiscer dans la relation agence/annonceur, critiquer le savoir-faire de l’agence, créer un climat de suspicion entre le client et son partenaire. La production est un endroit délicat du processus créatif. Elle est son aboutissement, le moment où un autre saut créatif s’opère, où le projet se confronte à la réalité, à sa faisabilité, à ses coûts, à son impact social et environnemental. C’est un moment fragile, où nous sommes tous confrontés à des difficultés et des surprises. Il est facile de créer des tensions au moment même où il faut beaucoup de calme, d’anticipation, de dialogue et de confiance pour produire un nombre d’assets qui ne cesse d’augmenter dans des enveloppes budgétaires qui ne cessent de baisser. Dans ce contexte, les « cost controllers » alimentent trop souvent la défiance et jettent le trouble sur nos productions, cette attitude s’apparente à du dénigrement et participe à la détérioration de la relation agence/annonceur. Elle est d’autant plus discutable que dans le même temps, ils revendiquent désormais une compétence de consultants en production qui les placent en confrontation directe avec les sociétés de production, mais également avec les agences.
2. Du contrôle au conseil
Depuis qu’ils sont devenus Conseil en production, certains « cost controllers » proposent à leurs clients bien plus qu’un contrôle de leurs coûts de production, ils leur proposent des solutions, solutions de productions externes, solutions d’achat d’art, solutions d’acheminement de véhicules et autres problèmes de logistique, solutions de négociation de droits, ils remontent même sur la création pour proposer des aménagements de script. Bref, ils intègrent notre métier et se substituent à nous dans notre rôle de conseil en production et de producteur.
Alors, pourquoi pas ?
Parce qu’en devenant conseil, ils utilisent leur position d’intermédiaire, de tiers de confiance, censé délivrer un conseil impartial et désintéressé, pour proposer leurs propres circuits de production et plus globalement leurs propres solutions. Contrairement aux agences qui garantissent l’impartialité des consultations via notamment les règles émises par les associations et syndicats du secteur. Cette dérive s’apparente à de la concurrence déloyale, ils profitent d’une position supposée neutre pour proposer des solutions qui ne le sont plus. Quelle est la légitimité de ces solutions quand les expertises en production deviennent de plus en plus larges et complexes ?
Enfin, dans ce nouveau contexte, qui a la responsabilité du produit fini créatif ? Est-ce que quelqu’un a regardé attentivement la bande des réalisations créatives de ces nouvelles agences de production ?
3. Le mélange des genres et la confusion des rôles
La seule question que nous posons in fine est assez simple : peut-on être juge et partie, peut-on être une autorité de contrôle et dans le même temps prescripteur de solutions, peut-on être objectif et subjectif auprès des mêmes clients. Si les « cost controllers » sont devenus conseils en production, en création, en développement durable, en achat d’art etc…alors, qui contrôle le « cost control » ?
Dans les semaines qui vont suivre nous allons demander trois choses :
1. Nous allons demander à tous les annonceurs qui sont engagés dans le programme FAIRe de dissocier les fonctions « cost control » des fonctions conseil en production pour davantage de clarté et de transparence dans nos métiers. Nous allons discuter avec eux de leur mode de rémunération des fonctions « cost control », le mode de rémunération au pourcentage de rabais obtenu étant en soi porteur de ses propres dérives.
2. Nous allons demander à nos deux ministères de tutelle de se positionner sur le sujet, la publicité française est la plus régulée au monde, les agences de l’AACC se sont engagées concrètement et clairement dans leur transition écologique, il est normal qu’en échange l’État défende un circuit de production responsable, transparent en termes de concurrence et sain en termes de pratique commerciale.
3. Nous allons demander à toutes les agences de l’AACC de nous remonter tous les cas de productions dysfonctionnelles qu’elles ont expérimentées pour constituer un dossier.
Nous sommes évidemment ouverts à tout dialogue avec toutes les parties prenantes, comme nous l’avons toujours été, mais nous pensons qu’il est désormais temps d’adresser cette problématique et de trouver ensemble un moyen de rétablir des règles du jeu claires et équilibrées.
La présidence de l’AACC
Bertille Toledano et David Leclabart